Sur l'amour du prochain 3

 12ème Dimanche après la Pentecôte

(Troisième sermon)

Sur l'amour du prochain


Allez, et faites de même. (S. Luc, X, 37.)


Un docteur de la loi, nous dit saint Luc, se présenta à Jésus-Christ, lui disant pour le tenter : « Maître, que faut-il faire pour avoir la vie éternelle ? » Jésus-Christ lui répondit : « Que porte votre loi, qu'y lisez-vous ? » Il lui répondit : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces, et le prochain comme vous-même. » – « Vous avez très bien répondu, lui répliqua Jésus-Christ ; allez, faites cela, et vous aurez la vie éternelle. » Ensuite, le docteur lui demanda qui était son prochain, et qui il devait aimer comme lui-même. Jésus-Christ lui proposa cet exemple : « Un homme allait de Jérusalem à Jéricho ; il tomba entre les mains des voleurs, qui, non contents de l'avoir dépouillé, le percèrent de plaies, et le laissèrent à demi-mort sur la place. Dans le moment, il passa un prêtre qui descendait par le même chemin. Celui-ci l'ayant vu dans ce pitoyable état, ne le regarda pas même. Ensuite un lévite, l'ayant aperçu, passa de même ; mais un Samaritain qui suivait la même route, l'ayant vu, s'approcha de lui, et en fut sensiblement touché de compassion ; il descendit de son cheval, et se mit en état de l'assister de tout son pouvoir. Il bassina ses plaies avec de l'huile et du vin, les banda ; l'ayant mis sur son cheval, il le porta dans une hôtellerie où il commanda au maître d'en prendre tous les soins nécessaires, en lui disant que, si l'argent qu'il lui donnait ne suffisait pas, à son retour, il lui rendrait ce qu'il aurait dépensé de plus. » Jésus-Christ dit au docteur : « Lequel des trois pensez-vous avoir été le prochain de cet homme qui tomba entre les mains des voleurs ? » Le docteur lui répondit : « Je crois que c'est celui qui a exercé les œuvres de miséricorde envers cet homme. » – « Eh bien ! allez, lui dit Jésus-Christ, faites de même, et vous aurez la vie éternelle. » Voilà, M.F., le modèle parfait de la charité que nous devons avoir pour notre prochain. Voyons donc, M.F., si nous avons cette charité qui nous assure la vie éternelle. Mais, pour mieux vous en faire sentir la nécessité, je vais vous montrer que toute notre religion n'est qu'une fausse religion, et que toutes nos vertus ne sont que fantômes, et que nous ne sommes que des hypocrites aux yeux de Dieu, si nous n'avons pas cette charité universelle pour tout le monde : c'est-à-dire, pour les bons comme pour les mauvais, pour les pauvres comme pour les riches, pour tous ceux qui nous font du mal, comme pour ceux qui nous font du bien. Non, M.F., il n'y a point de vertu qui nous fasse mieux connaître si nous sommes les enfants du bon Dieu, que la charité; et l'obligation que nous avons d'aimer notre prochain est si grande, que Jésus-Christ nous en fait un commandement, qu'il place de suite après celui par lequel il nous commande de l'aimer de tout notre cœur. Il nous dit que toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ce commandement d'aimer notre prochain. Oui, M.F., nous devons regarder cette obligation comme la plus universelle, la plus nécessaire et la plus essentielle à la religion, à notre salut ; parce qu'en accomplissant ce commandement, nous accomplissons tous les autres. Saint Paul nous dit que les autres commandements nous défendent l'adultère, le vol, les injures, les faux témoignages ; si nous aimons notre prochain, nous ne ferons rien de tout cela, parce que l'amour que nous avons pour notre prochain ne peut souffrir que nous lui fassions du mal. Je dis 1° que ce commandement, qui nous ordonne d'aimer notre prochain, est le plus nécessaire à notre salut, puisque saint Jean nous dit que, si nous n'aimons pas notre frère, c'est-à-dire tout le monde, nous demeurons dans un état de réprobation. Nous voyons encore que Jésus-Christ a tant à cœur l'accomplissement de ce commandement, qu'il nous dit que ce n'est que par l'amitié que nous aurons les uns pour les autres qu'il nous reconnaîtra pour ses enfants. 2° Je dis, M.F., que ce qui nous impose une si grande obligation de nous aimer les uns les autres, c'est que nous avons tous le même créateur, tous une même origine ; que nous ne sommes tous qu'une même famille, dont Jésus-Christ est le père, et que nous portons tous son image et sa ressemblance ; que nous sommes tous créés pour une même fin, qui est la gloire éternelle, et que nous avons tous été rachetés par la mort et passion de Jésus-Christ. D'après cela, M.F., nous ne pouvons pas refuser d'aimer notre prochain, sans outrager Jésus-Christ lui-même, qui nous le commande sous peine de damnation éternelle. Saint Paul mous dit que, puisque nous avons tous une même espérance, qui est la vie éternelle, un même Seigneur, une même foi, un même baptême et un même Dieu, qui est le père de tous les hommes, nous devons donc aimer tous les hommes comme nous-mêmes, si nous voulons plaire à Jésus-Christ et sauver nos âmes. Mais, peut-être pensez-vous, en quoi consiste donc l'amour que nous devons avoir pour notre prochain ? M.F., cet amour consiste en trois choses : 1° à vouloir du bien à tout le monde ; 2° à leur en faire toutes les fois que nous pouvons ; 3° supporter, excuser et cacher leurs défauts. Voilà, M.F., la vraie charité due au prochain, et la véritable marque d'une vraie charité, sans laquelle nous ne pouvons ni plaire à Dieu, ni sauver nos âmes. 1° Nous devons souhaiter du bien à tout le monde, et être bien affligé lorsque nous apprenons qu'il lui arrive quelque mal, parce que nous devons considérer tous les hommes, même nos ennemis, comme nos frères ; nous devons montrer un air bon et affable envers tout le monde ; ne point porter envie à ceux qui sont mieux que nous ; nous devons aimer les bons à cause de leurs vertus, et aimer les méchants, afin qu'ils deviennent bons ; souhaiter la persévérance aux premiers et la conversion aux autres. Si un homme est un grand pécheur et un méchant, nous pouvons haïr le péché, qui est l'ouvrage de l'homme et du démon ; mais il faut aimer sa personne, qui est l'image de Dieu. 2° Nous devons faire du bien à tout le monde, du moins autant que nous le pouvons ; ce qui se fait en trois manières qui regardent les biens du corps, les biens de l'honneur, et les biens de l'âme. Par rapport aux bien du corps, nous ne devons jamais faire tort au prochain, ni lui empêcher de gagner quelque chose, quand même ce profit pourrait nous revenir. Il n'y a point de chrétiens si agréables à Dieu que ceux qui portent compassion aux malheureux. Voyez saint Paul : il nous dit qu'il pleurait avec ceux qui pleuraient, et se réjouissait avec ceux qui étaient dans la joie. Quant à l'honneur du prochain, nous devons bien prendre garde de ne jamais nuire à sa réputation par des médisances, et, encore bien moins, par des calomnies. Si nous pouvons empêcher ceux qui en disent du mal, il faut les en empêcher ; si nous ne pouvons pas, il faut les quitter, ou bien, dire tout le bien que nous savons de ces personnes, Mais pour les biens de l'âme, qui sont cent fois plus précieux que ceux du corps, nous pouvons leur procurer ces biens en priant pour eux, en les détournant du mal par nos conseils, et, surtout, par nos bons exemples ; nous y sommes spécialement obligés envers ceux avec qui nous vivons. Les pères et mères, maîtres et maîtresses y sont obligés d'une manière particulière, à cause du compte qu'ils auront à rendre à Dieu de leurs enfants. Hélas ! M.F., peut-on bien dire que les pères et mères aiment leurs enfants, quand ils les voient vivre avec tant d'indifférence pour tout ce qui regarde le salut de leurs âmes ! Hélas ! M.F., un père et une mère qui auraient la charité qu'ils devraient avoir pour leurs enfants, pourraient-ils vivre sans verser des larmes, nuit et jour, sur le malheureux état de leurs enfants qui sont dans le péché, qui vivent, hélas ! en réprouvés, qui ne sont plus pour le ciel, qui ne sont plus que pour l'enfer ?... Hélas ! M.F., comment aimeront-ils à leur procurer leur salut, Puisqu'ils ne pensent pas même à leur propre salut ? Hélas ! M.F., combien de pères et mères qui devraient gémir et prier continuellement sur l'état de leurs pauvres enfants, et qui les détournent du bien et les portent au mal ; en les entretenant des torts, des disputes, des injures que leur ont dites ou faits leurs voisins, de leur mauvaise foi, des moyens qu'ils ont employés pour se venger : ce qui porte souvent les enfants à vouloir eux-mêmes se venger, ou, du moins, à conserver la haine dans le cœur. Oh ! M.F., que les premiers chrétiens étaient bien éloignés de tout cela, parce qu'ils sentaient le prix d'une âme ? Ah ! M.F., si un père et une mère connaissaient la valeur d'une âme, pourraient-ils laisser perdre, avec tant d'indifférence, celles de leurs pauvres enfants ou de leurs domestiques ? pourraient-ils leur faire manquer leur prière, pour les faire travailler ? auraient-ils le courage de leur faire manquer les saints offices ? Ô mon Dieu ! que vont-ils répondre à Jésus-Christ lorsqu'il va leur montrer qu'ils ont préféré une bête à l'âme de leurs enfants ! Ah ! que dis-je, une poignée de foin ! Ah ! pauvre âme, que l'on t'estime peu ! Non, non, M.F., ces pères et mères aveugles et ignorants n'ont jamais compris que la perte d'une âme est un plus grand mal que la destruction de toutes les créatures qui existent sur la terre. Jugeons, M.F., de la dignité d'une âme par celle des anges : un ange est si parfait que tout ce que nous voyons sur la terre et dans le ciel, est moins qu'un grain de poussière en comparaison du soleil ; et cependant quelque parfaits que soient les anges, ils n'ont coûté à Dieu qu'une parole ; tandis qu'une âme a coûté la valeur de son sang adorable. Le démon, pour tenter le Sau­veur, lui offrit tous les royaumes de monde, en lui disant : « Si tu veux te prosterner devant moi, je te donnerai tous ces biens ; » ce qui nous montre qu'une âme est infiniment plus précieuse aux yeux de Dieu, et même du démon, que tout l'univers avec tout ce qu'il possède. Ah ! quelle honte pour ces pères et mères qui estiment moins l'âme de leurs enfants, que le démon ne l'estime lui-même ! Oui, M.F., votre âme est d'un si grand prix, que saint Jean Chrysostome nous dit que, quand il n'y aurait eu qu'un seul homme sur la terre, son âme est si précieuse à Jésus-Christ, qu'il n'aurait pas cru indigne de lui, de mourir pour la sauver. « Oui, dit-il, une âme est si chère à son Créateur, que, si elle l'aimait, il anéantirait plutôt les cieux que de la laisser périr. » « Ô corps, s'écriait saint Bernard, que vous êtes honoré de loger une si belle âme ! » Dites-moi, M.F., si vous aviez été au pied de la croix, et que vous eussiez ramassé le sang adorable de Jésus-Christ dans un vase, avec quel respect ne l'auriez-vous pas conservé ? Or, M.F., nous devons avoir autant de respect et de soin pour conserver notre âme, parce qu'elle a coûté tout le sang de Jésus-Christ. « Depuis, nous dit saint Augustin, que j'ai reconnu que mon âme a été rachetée par le sang d'un Dieu, j'ai résolu de la conserver, aux dépens même de ma vie, et de ne jamais la vendre au démon par le péché. » Ah ! pères et mères, si vous étiez bien convaincus que vous êtes les gardiens des âmes de vos enfants, pourriez-vous bien les laisser périr avec tant de froideur ? Mon Dieu, que de personnes damnées pour avoir laissé perdre de pauvres âmes, ce qu'ils auraient bien pu empêcher s'ils l'avaient voulu ! Non, M.F., nous n'avons pas la charité que nous devrions avoir les uns pour les autres, et surtout pour nos enfants et nos domestiques. Nous lisons dans l'histoire, que du temps des premiers chrétiens, lorsque les empereurs païens les interrogeaient pour savoir ce qu'ils étaient, ils leur répondaient : « Vous nous demandez ce que nous sommes, le voici : Nous ne faisons qu'un peuple et qu'une famille, que les liens de la charité unissent ensemble ; pour nos biens, ils sont tous en commun : celui qui a donne à celui qui n'a pas ; personne ne se plaint, personne ne se venge, personne ne se dit du mal, et personne ne s'en fait. Nous prions les uns pour les autres, et même pour nos ennemis ; au lieu de nous venger, nous faisons du bien à ceux qui nous font du mal, nous bénissons ceux qui nous maudissent. » Ah ! M.F., que sont devenus ces temps heureux ? Hélas ! que de chrétiens maintenant ne sont possédés que de l'amour d'eux-mêmes, et n'en ont point pour le prochain ! Voulez-vous, M.F., savoir ce que sont les chrétiens de nos jours ? Écoutez-moi, le voici. Si deux personnes qui sont ensemble sont de même humeur, de même caractère, ou bien ont les mêmes inclinations, vous les voyez s'aimant bien, vivre ensemble ; ce n'est encore pas difficile. Mais, si l'humeur ou le caractère ne s'accordent pas ; il n'y a plus ni paix, ni amitié, ni charité, ni prochain. Hélas ! M.F., ce sont des chrétiens qui n'ont qu'une fausse religion : ils n'aiment leur prochain qu'autant qu'il est de leur inclination, et qu'il entre dans leurs sentiments et leurs intérêts ; autrement, l'on ne peut plus se voir, se souffrir ensemble : il faut se séparer, dit-on, pour avoir la paix et sauver son âme. Allez, pauvres hypocrites, allez, séparez-vous de ceux qui ne sont pas, dites-vous, de votre caractère, et avec qui vous ne pouvez pas vivre ; vous ne vous éloignerez pas aussi loin d'eux que vous l'êtes de Dieu. Allez, votre religion n'est qu'un fantôme, et vous n'êtes vous-mêmes que des réprouvés. Vous n'avez jamais connu ni votre religion, ni ce qu'elle vous commande, ni la charité que vous devez avoir pour votre frère afin de plaire à Dieu et vous sauver. Il n'est pas bien difficile d'aimer ceux qui nous aiment, et qui sont de nos sentiments dans tout ce que nous disons ou faisons ; car en cela, il n'y a rien de plus que les païens, ils en faisaient tout autant. Saint Jacques nous dit : « Si vous faites bon accueil à un riche, et que vous méprisiez un pauvre ; si vous saluez de bonne grâce celui qui vous a fait quelque bien, tandis qu'à peine saluez-vous celui qui vous a fait quelque insulte ; ni vous n'accomplissez la loi, ni vous n'avez la charité que vous devez avoir ; vous ne faites rien de plus que ceux qui ne connaissent pas le bon Dieu. » – « Mais, me direz-vous, comment devons-nous donc aimer notre prochain ? » – Le voici. Saint Augustin nous dit que nous devons l'aimer comme Jésus-Christ nous aime : il n'a consulté ni la chair ni le sang, mais il nous a aimés pour nous sanctifier et nous mériter la vie éternelle. Nous devons souhaiter et désirer à notre prochain tout le bien que nous pouvons souhaiter pour nous-mêmes. Oui, M.F., nous ne connaîtrons que nous sommes dans le chemin du ciel et que nous aimons véritablement le bon Dieu que d'autant que, nous trouvant avec des personnes entièrement opposées à notre caractère, et qui semblent nous contredire en tout, nous les aimons cependant comme nous-mêmes, nous les voyons de bonne grâce, nous en disons du bien et jamais du mal, nous recherchons leur compagnie, nous les prévenons et nous leur rendons service de préférence à tous ceux qui entrent dans nos intérêts et ne nous contredisent en rien. Si nous faisons cela, nous pouvons espérer que notre âme est dans l'amitié de Dieu et que nous aimons notre prochain chrétiennement. Voilà la règle et le modèle que Jésus-Christ nous a laissés et que tons les saints ont suivis ; ne nous y trompons point, il n'y a point d'autre chemin qui nous conduise au ciel. Si vous ne faites pas cela, ne doutez pas d'un seul instant, que vous ne marchiez dans celui de la perdition. Allez, pauvres aveugles, priez, faites pénitence, assistez bien aux offices, fréquentez les sacrements, tous les jours, si vous le voulez ; donnez tout votre bien à ceux qui vous aiment, vous ne laisserez pas que d'aller brûler à la fin de votre vie ! Hélas ! M.F., qu'il y a peu de véritable dévotion ! que de dévotions de caractère, de penchant ! Il y a des gens qui donnent tout, et qui sont prêts à tout sacrifier, quand c'est pour des personnes qui leur conviennent ou qui les aiment. Hélas ! qu'il y en a peu qui ont cette charité qui plaît à Dieu et qui conduit au ciel ! Tenez, M.F., voulez-vous un bel exemple de la charité chrétienne ? en voici un qui peut vous servir de modèle, toute votre vie. Il est rapporté dans l'histoire des Pères du désert, qu'un solitaire rencontra dans le chemin un pauvre estropié tout couvert d'ulcères et de pourriture ; il était dans un état si misérable qu'il ne pouvait ni gagner sa vie, ni se traîner. Le solitaire, touché de compassion, le porta dans sa cellule, lui donna tous les soulagements qu'il put. Ce pauvre, ayant repris ses forces, le solitaire lui dit : « Voulez-vous, mon cher frère, demeu­rer avec moi, je ferai tout ce que je pourrai pour vous nourrir, et nous prierons et nous servirons le bon Dieu ensemble. » – « Oh ! que vous me donnez de joie, lui dit le pauvre ! que je suis heureux de trouver dans votre charité une ressource à ma misère ! » Le solitaire, qui avait déjà bien de la peine à gagner sa vie, redoubla son travail pour avoir de quoi nourrir son pauvre ; et il tâchait de le nourrir le mieux qu'il pouvait et bien mieux qu'il ne se nourrissait lui-même. Mais, au bout de quelque temps, ce pauvre commença à murmurer contre son bienfaiteur, se plaignant de ce qu'il le nourrissait trop mal. « Hélas ! mon cher ami, lui dit le solitaire, je vous nourris mieux que moi-même, je ne puis faire autre chose pour vous que ce que je fais. » Quelques jours après, cet ingrat recommença ses plaintes, et vomit contre son bienfaiteur un torrent d'injures. Le solitaire souffrit tout cela avec patience, sans rien répondre. Le pauvre fut honteux d'avoir parlé de la sorte à un si saint homme, qui ne lui faisait que du bien ; et il lui demanda pardon. Mais il retomba bientôt dans les mêmes impatiences, et prit une telle haine contre ce bon solitaire, qu'il ne pouvait plus le supporter. « Je suis ennuyé de vivre avec toi, lui dit-il ; je veux que tu me reportes dans le chemin où tu m'as trouvé ; je ne suis pas accoutumé à être si mal nourri. » Le solitaire lui demanda pardon, lui promettant qu'il tâcherait de le mieux traiter. Le bon Dieu lui inspira d'aller trouver un bourgeois charitable du voisinage, pour lui demander de la nourriture un peu meilleure pour son estropié. Le bourgeois, touché de compassion, lui dit de venir tous les jours chercher de quoi le nourrir. Le pauvre parut content ; mais au bout de quelques semaines, il recommença à faire de nouveaux et de piquants reproches au solitaire. « Va, lui dit-il, tu n'es qu'un hypocrite, tu fais semblant d'aller chercher l'aumône pour moi, et c'est pour toi ; tu manges le meilleur en secret, et tu ne me donnes que tes restes. » – « Ah ! mon ami, lui dit le solitaire, vous me faites injure, je vous assure que je ne demande jamais rien pour moi, que je ne touche pas même un morceau de ce que l'on me donne pour vous ; si vous n'êtes pas content des services que je vous rends, ayez au moins patience pour l'amour de Jésus-Christ, en attendant que je fasse mieux. » – « Va, lui dit le pauvre, je n'ai pas besoin de tes remontrances, » et, sur le champ, il se saisit d'un caillou, et le jeta à la tête du solitaire, qui évita le coup. Ensuite ce malheureux prit un gros bâton, dont il se servait pour se traîner, et lui en donna un si rude coup, qu'il le fit tomber par terre. « Le bon Dieu vous pardonne, lui dit le bon solitaire ; pour moi, je vous pardonne bien, pour l'amour de Jésus-Christ, les mauvais traitements que vous me faites. » – « Tu dis que tu me pardonnes ; mais ce n'est que du bout des lèvres, parce que je sais que tu me voudrais déjà voir mort. » – « Je vous assure, mon ami, lui dit tendrement le bon solitaire, que c'est de tout mon cœur que je vous pardonne. » Ce bon solitaire voulut l'embrasser pour marquer qu'il l'aimait. Dans ce moment, le pauvre le prit par la gorge, lui déchira le visage avec ses ongles, et voulait l'étrangler. Le solitaire s'étant débarrassé de ses mains, le pauvre lui dit : « Va, tu ne mourras jamais que de mes mains. » Ce bon solitaire, qui était toujours touché de compassion et rempli d'une charité vraiment chrétienne, prit patience avec lui pendant trois ou quatre ans. Pendant ce temps-là, il n'y a que Dieu qui sache combien il eut à souffrir de la part du pauvre. Il lui disait à tout moment qu'il voulait qu'il le reportât dans le chemin où il l'avait trouvé, qu'il aimait mieux mourir de faim ou de froid, ou bien être dévoré par les bêtes, que de vivre avec lui. Ce bon solitaire ne savait à quoi se déterminer ; d'un côté, sa charité lui représentait qu'en le reportant dans l'endroit où il l'avait trouvé, il allait périr de misère ; d'un autre côté, il craignait de perdre patience dans ce combat. Il lui vint la pensée d'aller consulter saint Antoine sur le parti qu'il devait prendre pour être le plus agréable au bon Dieu ; il ne craignait ni la peine, ni les outrages qu'il recevait pour tous ses bienfaits ; mais il voulait seulement connaître la volonté de Dieu. Étant auprès de saint Antoine, sans rien lui dire, celui-ci, par la bouche duquel le Saint-Esprit parlait, lui dit : « Ah ! mon fils, je sais ce qui vous amène ici, et pourquoi vous venez me trouver. Gardez-vous bien de suivre la pensée que vous avez de renvoyer ce pauvre ; c'est une rude tentation du démon, qui veut vous ôter votre couronne ; si vous aviez le malheur de l'abandonner, mon fils, le bon Dieu ne l'abandonnerait pas. » Il semblait, d'après ce que saint Antoine lui dit, que son salut fût attaché aux soins qu'il donnait à ce pauvre. « Mais, mon père, lui dit le solitaire, je crains de perdre patience avec lui. » – « Et pourquoi la perdriez-vous, mon fils, lui répliqua saint Antoine, ne savez-vous pas que c'est envers ceux qui nous font le plus de mal, que nous devons exercer le plus généreusement notre charité ? Mon fils, dites-moi, quel mérite auriez-vous d'avoir la patience avec une personne qui ne vous ferait jamais de mal ? Ne savez-vous pas, mon fils, que la charité est une vertu courageuse, qui ne regarde pas les vices de celui qui nous fait de la peine, mais qui ne regarde que Dieu seul ? Aussi, mon fils, je vous engage grandement à garder ce pauvre : plus il est méchant, plus vous devez eu avoir pitié ; tout ce que vous lui ferez par charité, Jésus-Christ le tiendra pour fait à lui-même. Faites voir, mon fils, par votre patience, que vous êtes le disciple d'un Dieu souffrant. Souvenez-vous que c'est par la patience et par la charité que l'on connaît un chrétien. Regardez ce pauvre comme celui dont Dieu veut se servir pour vous faire travailler à votre couronne. » Le solitaire fut très satisfait de savoir de ce grand saint que c'était la volonté de Dieu qu'il gardât son pauvre, et que tout ce qu'il faisait envers lui était très agréable à Dieu. Il va trouver son pauvre, et oubliant toutes les injures et les mauvais traitements qu'il en avait reçus jusqu'à ce jour, lui montrant une charité qui n'avait plus de bornes, il le servait avec une humilité admirable, et ne cessait de prier pour lui. Le bon Dieu vit dans ce jeune solitaire tant de patience et de charité qu'il convertit ce pauvre ; et par là montra à son serviteur, combien tout ce qu'il avait fait lui était agréable, puisqu'il accordait à ce malheureux son salut et sa conversion. Que pensez-vous de cela, M.F. ? Est-ce là une charité chrétienne, oui ou non ? Oh ! que cet exemple, au grand jour du jugement, va confondre de chrétiens qui ne veulent pas seulement souffrir une parole, supporter huit jours, le mauvais caractère d'une personne, sans murmurer, sans lui vouloir peut-être du mal. Il faut se quitter, il faut se séparer pour avoir la paix, dit-on. Ô mon Dieu ! que de chrétiens se damnent par le défaut de charité ! Non, non, M.F., quand vous feriez même des miracles, vous ne serez jamais sauvés, si vous n'avez pas la charité. Non, M.F., ce n'est pas connaître sa religion ; ce n'est avoir qu'une religion de caprice, d'humeur et de penchant. Allez, allez, vous n'êtes que des hypocrites et des réprouvés ! Sans la charité, jamais vous ne verrez le bon Dieu, jamais vous n'irez au ciel !... Donnez votre bien, faites de grandes aumônes à ceux qui vous aiment ou qui vous plaisent, assistez tous les jours à la sainte Messe, communiez tous les jours, si vous voulez ; vous n'êtes que des hypocrites et des réprouvés ; continuez votre route et vous serez bientôt en enfer !... Vous ne pouvez supporter les défauts de votre prochain parce qu'il est trop pénible, vous n'aimez pas à être avec lui. Allez voir, allez, malheureux, vous n'êtes qu'un hypocrite, vous n'avez qu'une fausse religion, qui, avec tout ce que vous faites de bien, vous conduira en enfer. Ô mon Dieu ! que cette vertu est rare ! Hélas ! elle est aussi rare que sont rares ceux qui iront au ciel. Je n'aime pas même les voir, direz-vous ; à l'église, ils me donnent des distractions avec toutes leurs manières. Ah ! malheureux, dites plutôt que vous n'avez pas la charité, et que vous n'êtes qu'un misérable, qui n'aimez que ceux qui entrent dans vos sentiments ou vos intérêts, qui ne vous contredisent en rien, et qui vous flattent de vos bonnes œuvres, qui aiment à vous remercier de vos bienfaits et qui vous paient de reconnaissance. Vous ferez tout pour ceux-ci, vous ne craignez pas même de vous priver de votre nécessaire pour les soulager ; mais, s'ils vous méprisent ou paient d'ingratitude, vous ne les aimez plus, vous ne voulez plus les voir, vous fuyez leurs compagnies ; vous êtes content de couper court aux entretiens que vous avez avec eux. Ô mon Dieu ! que de fausses dévotions qui ne peuvent nous conduire que parmi les réprouvés ! Si vous en doutez, M.F., écoutez saint Paul, qui ne peut vous tromper : « Quand, nous dit-il, je donnerais tout mon bien aux pauvres, quand je ferais des miracles en ressuscitant les morts, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien autre qu'un hypocrite. » Mais pour mieux vous en convaincre, parcourez toute la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, voyez toutes les Vies des Saints, vous n'en trouverez aucun qui n'ait pas cette vertu : c'est-à-dire, qui n'ait pas aimé ceux qui lui faisaient des injures, qui lui voulaient du mal, qui le payaient d'ingratitude pour ses bienfaits. Non, non, vous n'en verrez pas un qui n'ait pas préféré de faire du bien à celui qui lui aura fait quelques torts. Voyez saint François de Sales, qui nous dit que, s'il n'avait qu'une bonne œuvre à faire, il choisirait celui qui lui a fait quelque outrage, plutôt que celui qui lui a rendu quelque service. Hélas ! M.F., qu'une personne qui n'a pas la charité va loin pour le mal ! Si une personne lui a fait quelque peine, vous la voyez examiner toutes ses actions ; elle les juge, elle les condamne, elle les tourne en mal, toujours croyant avoir raison. – Mais, me direz-vous, il y a bien des fois que l'on voit qu'ils agissent mal, l'on ne peut pas penser autrement. – Mon ami, comme vous n'avez point de charité, vous croyez qu'ils font mal ; mais si vous aviez la charité, vous penseriez bien autrement, parce que vous penseriez toujours que vous pouvez bien vous tromper, comme cela arrive si souvent ; et pour vous en convaincre, en voici un exemple, que je vous prie de ne jamais effacer de votre esprit, surtout quand vous penserez que votre prochain fait mal. Il est rapporté dans l'histoire des Pères du désert, qu'un solitaire nommé Siméon, étant resté plusieurs années dans la solitude, il lui vint la pensée d'aller dans le monde ; mais il demanda au bon Dieu que jamais de sa vie, les hommes ne connussent ses intentions. Le bon Dieu lui ayant accordé cette grâce, il alla dans le monde. Il contrefaisait le fou, il délivrait les possédés du démon, et il guérissait les malades ; il allait dans les maisons des femmes de mauvaise vie ; leur faisait jurer qu'elles n'aimeraient que lui, leur donnant tout l'argent qu'il avait. Tout le monde le regardait comme un solitaire qui avait perdu l'esprit. L'on voyait tous les jours cet homme, qui avait plus de soixante-dix ans, jouer avec les enfants dans les rues ; d'autres fois, il allait se jeter au travers des danses publiques pour sauter avec les autres, en leur disant quelques mots qui leur montraient bien le mal qu'ils faisaient. Mais on regardait cela comme venant d'un fou, et l'on ne faisait que le mépriser. D'autres fois, il montait sur les théâtres, d'où il jetait des pierres à tous ceux qui étaient en bas. Quand il voyait des personnes qui étaient possédées du démon, il se mettait avec elles, et contrefaisait le possédé comme si lui-même l'eût été. On le voyait courir dans les auberges, se mettre avec les ivrognes ; dans les marchés, il se roulait par terre, et faisait mille autres choses toutes fort extravagantes. Tout le monde le condamnait, le méprisait ; les uns le regardaient comme un fou, les autres, comme un libertin et un mauvais sujet qui ne méritait que la prison. Et cependant, M.F., malgré tout cela, c'était un saint, qui ne cherchait que le mépris et à gagner les âmes à Dieu, quoique tout le monde en jugeât mal. Ce qui nous montre que quoique les actions mêmes de notre prochain nous paraissent mauvaises, nous ne devons pas, nous, en juger mal. Souvent nous les jugeons mauvaises, tandis qu'aux yeux de Dieu, elles ne le sont pas. Ah ! que celui qui aurait le bonheur d'avoir la charité, cette belle et incomparable vertu, se garderait bien de juger et de vouloir mal à son prochain ! – Mais, me direz-vous, son caractère est trop mauvais, l'on ne peut pas y tenir. – Vous ne pouvez pas y tenir, mon ami, vous croyez donc être un saint, et sans défaut ? pauvre aveugle ! vous verrez un jour que vous en avez plus fait souffrir à ceux qui sont autour de vous, qu'ils ne vous en ont fait souffrir. C'est l'ordinaire que les plus mauvais croient qu'ils ne font rien souffrir aux autres, et qu'ils ont tout à souffrir des autres. Ô mon Dieu, que l'homme est aveugle, quand la charité n'est pas dans son cœur ! D'un autre côté, si vous n'aviez rien à souffrir de la part de ceux qui sont avec vous, qu'auriez-vous donc à présenter au bon Dieu ? – Quand est-ce donc que l'on pourra connaître que l'on est dans le chemin qui conduit au ciel ? – Non, non, M.F., tant que vous n'aimerez pas ceux qui sont d'une humeur, d'un caractère tout différents du vôtre et même ceux qui vous contredisent en ce que vous faites, vous ne serez qu'un hypocrite et non un bon chrétien. Faites, tant que vous voudrez, des autres biens, cela n'empêchera pas que vous ne soyez damnés. D'ailleurs, voyez la conduite qu'ont tenue les saints, et comment ils se sont comportés envers leur prochain, en voilà un exemple qui nous montre que cette vertu seule semble nous assurer le ciel.

Il est rapporté dans l'histoire qu'un solitaire qui avait mené une vie bien imparfaite, du moins en apparence et aux yeux du monde, se trouva à l'heure de la mort si consolé et si content, que son supérieur en fut bien étonné. Pensant que c'était un aveuglement du démon, il lui demanda d'où pouvait venir ce grand contentement ; qu'il savait bien pourtant que sa vie n'avait guère de quoi le rassurer, vu que les jugements de Dieu sont si terribles, même aux plus justes. « Il est vrai, mon père, lui dit le mourant, que je n'ai pas fait des œuvres extraordinaires, et même que je n'ai presque rien fait de bon ; mais j'ai tâché toute ma vie de pratiquer ce grand précepte du Seigneur, qui est d'aimer tout le monde, de penser bien de tous, de supporter les défauts et de les excuser et de leur rendre service ; je l'ai fait toutes les fois que l'occasion s'en est présentée ; j'ai tâché de ne faire du mal à personne, de ne parler mal de personne et de penser bien de tout le monde : voilà mon père, ce qui fait toute ma consolation et mon espérance dans ce moment, et ce qui, malgré toutes mes imperfections, me donne l'espérance que le bon Dieu aura pitié de moi. » Le supérieur fut si étonné de cela, qu'il s'écria avec des transports d'admiration : « Ô mon Dieu ! que cette vertu est belle et précieuse à vos yeux ! » – « Allez, mon fils, dit-il au solitaire, vous avez tout fait et tout accompli, en accomplissant ce commandement ; allez, le ciel vous est assuré. » Ah ! M.F., si nous connaissions bien cette vertu, et quel en est le prix aux yeux de Dieu, avec quel empressement ne saisirions-nous pas toutes les occasions de la pratiquer, puisqu'elle renferme toutes les autres vertus et nous assure si bien le ciel ? Non, non, M.F., nous ne sommes que des hypocrites, tant que cette vertu n'accompagnera pas toutes nos actions. Mais, pensez-vous en vous-mêmes, d'où vient que nous n'avons pas cette charité, puisqu'elle nous rend déjà si heureux dans ce monde par la paix et l'union qui règnent entre ceux qui ont le grand bonheur de l'avoir ? – M.F., trois choses nous la font perdre, savoir : l'avarice, l'orgueil, et l'envie. Dites-moi, pourquoi est-ce que vous n'aimez pas cette personne ? Hélas ! c'est parce qu'elle n'entre pas dans vos intérêts ; qu'elle aura dit quelques paroles contre vous, ou fait quelque chose qui ne vous a pas convenu ; ou bien parce que vous lui avez demandé quelque service qu'elle vous a refusé ; ou bien qu'elle aura fait quelque profit que vous espériez faire : voilà ce qui vous empêche de l'aimer comme vous le devez. Vous ne faites pas attention que tant que vous n'aimerez pas votre prochain, c'est-à-dire, tout le monde, comme vous voudriez que l'on vous aimât, vous êtes un... que si vous veniez à mourir, vous seriez damné. Cependant vous aimez encore à nourrir dans votre cœur des sentiments qui ne sont pas bien charitables, vous fuyez ces personnes ; mais, prenez bien garde, mon ami, que le bon Dieu ne vous fuie pas aussi. Ne perdez jamais de vue qu'autant de temps que vous n'aimez pas votre prochain, le bon Dieu est en fureur contre vous ; si vous veniez à mourir, il vous précipiterait de suite en enfer. Ô mon Dieu ! peut-on bien vivre avec la haine dans le cœur !... Hélas ! mon ami, vous n'êtes plus qu'un abominable aux yeux de Dieu, si vous êtes sans charité, Est-ce parce que vous voyez de grands défauts dans votre voisin ? Hélas ! mon ami, soyez bien persuadé, que vous en avez encore de bien plus grands aux yeux de Dieu et que vous ne connaissez pas. Il est vrai que nous ne devons pas aimer les défauts et les vices du pécheur ; mais nous devons aimer sa personne ; car, quoique pécheur, il ne laisse pas que d'être la créature de Dieu et son image. Si vous voulez n'aimer que ceux qui n'ont point de défauts, vous n'aimerez personne, parce que personne n'est sans défauts. Raisonnons, M.F., en meilleurs chrétiens : plus un chrétien est pécheur, plus il est digne de compassion et de posséder une place dans notre cœur. Non, M.F., tant mauvais que soient ceux avec qui nous vivons, nous ne devons pas les haïr ; mas, à l'exemple de Jésus-Christ, les aimer plus que nous-mêmes. Voyez comment Jésus-Christ, qui est notre modèle, s'est comporté envers ses ennemis : il a prié pour eux et il est mort pour eux. Qui a porté les apôtres à traverser les mers, et à aller finir leur vie par le martyre ? N'est-ce pas l'amour pour leurs ennemis ? Voyez la charité de saint François-Xavier, qui quitta sa patrie et tous ses biens, pour aller habiter parmi des barbares, qui lui font souffrir tout ce qu'il est possible de faire souffrir à un chrétien, sinon la mort. Voyez un saint Abraham, soli­taire, qui quitta sa solitude pour aller prêcher la foi dans un pays où personne n'avait pu la faire recevoir. N'est-ce pas sa charité qui fut cause qu'il fut frappé et traîné par terre jusqu'à être laissé demi-mort. Ne pouvait-il pas les laisser dans leur aveuglement ? Oui, sans doute, mais sa charité, le grand désir de sauver leurs pauvres âmes, lui fait souffrir toutes ces injures. Oui, M.F., celui qui a la charité ne voit point de défauts dans son frère, mais seulement la nécessité de l'aider à sauver son âme, quoi qu'il en coûte. Nous disons que, si nous aimons bien notre prochain, nous prendrons bien garde de ne pas le scandaliser et de rien faire qui puisse le détourner du bien pour le porter au mal. Oui, M.F., nous devons aimer tout le monde et lui faire du bien autant que nous le pouvons pour l'âme et pour le corps ; parce que Jésus-Christ nous dit, que quand nous faisons quelque bien au prochain dans son corps, nous le faisons à lui-même ; mais, à bien plus forte raison, quand nous l'aidons à sauver son âme. Ne perdons jamais de vue ces paroles de Jésus-Christ, qui nous dit dans l'Évangile : « Venez, les bénis de mon Père, j'ai eu faim, vous m'avez donné à manger, etc. » Voyez la charité de saint Sérapion, qui quitta son habit pour le donner à un pauvre ; il en rencontra un autre, il lui donna son habit de dessous ; ne lui restant plus que son livre d'évangile, il va le vendre pour pouvoir donner encore. Son disciple lui demanda qui l'avait ainsi dépouillé ? Il lui dit, qu'il avait lu dans son livre : « Vendez et donnez tout ce que vous avez aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ; c'est pour cela que j'ai vendu jusqu'à mon livre. » Il alla encore plus loin, il se donna lui-même à une pauvre veuve pour se faire vendre, afin qu'elle eût de quoi nourrir ses enfants ; et, étant conduit parmi les barbares, il eut le grand bonheur d'en convertir un grand nombre. Oh ! belle vertu ! si nous avions le bonheur de vous posséder, que d'âmes nous mènerions au bon Dieu !.... Quand saint Jean l'Aumônier pensait à cette belle action de saint Sérapion : « J'avais cru, disait-il à ses amis, avoir fait quelque chose, en donnant tout mon argent aux pauvres ; mais j'ai reconnu que je n'ai encore rien fait, parce que je ne me suis pas donné moi-même comme le bienheureux Sérapion, qui se donna pour nourrir les enfants d'une veuve. » Concluons, M.F., que la charité est une des plus belles vertus, et qui nous assure le plus l'amitié du bon Dieu ; avec d'autres vertus, nous pouvons encore être dans le chemin de l'enfer ; mais avec la charité, qui est universelle, qui ne fuit point, qui aime ses ennemis comme ses amis, qui fait du bien à ceux qui lui font du mal, comme à ceux qui lui font du bien !... celui qui la possède est sûr que le ciel est pour lui !... C'est le bonheur que je vous souhaite.

 



24/12/2008
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