Sur les larmes de Jésus-Christ

 9ème dimanche après la Pentecôte

Sur les larmes de Jésus-Christ


Jésus, voyant la ville, pleura sur elle. (Saint Luc,
xix, 41.)


Jésus-Christ, en entrant dans la ville de Jérusalem, pleura sur elle, en disant : « Si, du moins, tu connaissais les grâces que je viens t'apporter et que tu voulusses bien en profiter, tu pourrais encore recevoir ton pardon ; mais, non, ton aveuglement est monté à un tel excès, que toutes ces grâces ne vont servir qu'à ton endurcis­sement et à ton malheur ; tu as tué les prophètes et fait mourir les enfants de Dieu ; maintenant, tu vas mettre le comble à tous ces crimes en faisant mourir le Fils de Dieu même. » Voilà, M.F., ce qui faisait couler les larmes de Jésus-Christ avec tant d'abondance en appro­chant de cette ville. Hélas ! il découvrait dans tous ces malheurs, la perte de tant d'âmes bien plus coupables que les Juifs, puisqu'elles allaient être plus favorisées de grâces qu'eux tous ne l'avaient été. Hélas, M.F., ce qui le toucha si vivement, c'est que, malgré les mérites de sa mort et passion, qui aurait de quoi racheter mille mondes plus grands que celui que nous habitons, le plus grand nombre serait perdu. Oui, M.F., il voyait d'avance ceux qui d'entre nous mépriseraient ces grâces et ne s'en serviraient que pour leur malheur. Hélas ! M.F., qui de nous ne tremblera pas en pensant vérita­blement à conserver son âme pour le ciel ? Hélas ! ne sommes-nous pas de ce nombre ? N'est-ce pas pour nous que Jésus-Christ a dit en pleurant : « Ah ! si, au moins, ma mort et mon sang ne servent pas à votre salut, ils allumeront la colère de mon Père sur vous, pendant l'éternité. » Un Dieu vendu !... une âme réprouvée !... un ciel rejeté !... Est-il bien possible que nous soyons insensibles à tant de malheurs ?... Est-il bien possible, M.F., que, malgré tout ce que Jésus-Christ a fait pour sauver nos âmes, nous soyons si insensibles à leur perte ?... Mais, pour nous tirer, M.F., de cette insensi­bilité, je vais vous montrer 1° ce que c'est qu'une âme ; 2° ce qu'elle a coûté à Jésus-Christ ; et 3° ce que le démon fait pour la perdre.


I. – Ah ! M.F., si nous avions le bonheur de connaître la valeur de notre âme, avec quel soin ne la conserve­rions-nous pas ? Hélas ! nous ne le comprendrons jamais assez ! Vouloir, M.F., vous montrer la grandeur de la valeur d'une âme : ceci est impossible à un mortel ; il n'y a que Dieu seul qui connaisse toutes les beautés, les perfections dont il orne une âme. Je vous dirai seu­lement que tout ce que Dieu a créé : le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment, toutes ces merveilles sont créées en sa faveur. Notre catéchisme nous donne la plus belle preuve possible de la grandeur de notre âme. Quand l'on demande à un enfant : Qu'entendez-vous, quand vous dites que l'âme de l'homme est un esprit créé à l'image de Dieu ? C'est, vous dit l'enfant, que cette âme a, comme Dieu, le pouvoir de connaître, d'aimer et de se déterminer librement dans toutes ses actions. Voilà, M.F., le plus bel éloge que nous puissions faire des qualités dont Dieu a embelli notre âme, créée par les trois Personnes de la Sainte-Trinité et à leur ressem­blance. Un esprit, comme Dieu, éternel pour l'avenir, capable de connaître les beautés et toutes les perfections de Dieu autant qu'il est possible à une créature ; une âme, qui est l'objet des complaisances des trois Per­sonnes divines ; une âme, qui peut glorifier Dieu dans toutes ses actions ; une âme, dont toute l'occupation sera de chanter les louanges de Dieu pendant des jours sans fin ; une âme, qui sera lumineuse du bonheur de Dieu même ; une âme qui a une telle liberté dans toutes ses actions, qu'elle peut donner son amitié, son amour à qui bon lui semble : elle peut ne pas aimer Dieu ou l'aimer ; mais, si elle est si heureuse de tourner son amour du côté de Dieu, ce n'est plus elle qui obéit à Dieu ; mais Dieu lui-même qui fait les volontés de cette âme et qui semble se faire un plaisir de le faire. Nous pourrions même dire que, depuis le commen­cement du monde, vous ne trouveriez pas une âme qui, s'étant donnée à Dieu sans partage, le bon Dieu lui ait refusé quelque chose qu'elle ait désiré. Nous voyons que Dieu nous a créés avec de tels désirs, que rien de créé n'est capable de nous contenter. Présentez à une âme toutes les richesses et tous les trésors du monde, rien de cela ne pourra la contenter ; Dieu l'ayant créée pour lui, il n'y a aussi que lui seul qui soit capable de remplir tous ses vastes désirs. Oui, M.F., notre âme peut aimer Dieu, ce qui est le plus grand de tous les bonheurs ! En l'ai­mant, nous avons tous les biens et les plaisirs que nous pouvons désirer sur la terre et dans le ciel. Nous pou­vons encore le servir : c'est-à-dire, le glorifier en chaque action de notre vie. Il n'y a pas jusqu'à la moindre chose que nous fassions, que Dieu n'en soit glorifié, si nous le faisons en vue de lui plaire. Notre occupation, pendant que nous sommes sur la terre, n'a rien de différent de celle des anges qui sont dans le ciel : la seule chose qui diffère, c'est que nous ne voyons tous ces biens que des yeux de la foi. Notre âme est si noble, ornée de tant de belles qua­lités, que le bon Dieu n'a voulu la confier qu'à un prince de sa cour céleste. Notre âme est si précieuse aux yeux de Dieu même, que, dans toute sa sagesse, il n'a point trouvé de nourriture qui fût digne d'elle que son Corps adorable, dont il veut qu'elle fasse son pain de chaque jour ; et pour sa boisson, il n'y avait que son Sang précieux qui fût digne de lui en servir. « Oui, M.F., si nous avons une âme que Dieu estime tant, nous dit saint Ambroise, que, quand elle aurait été seule dans le monde, il n'aurait pas cru en trop faire que de mourir pour elle ; et que, quand le bon Dieu, en la créant, n'aurait point créé de ciel, quoique seule dans le monde, le bon Dieu en aurait créé un pour elle seule, » comme il le dit un jour à sainte Thérèse : « Vous m'êtes si agréable, lui dit Jésus-Christ, que, quand il n'y aurait point de ciel, j'en créerais un pour vous seule. » – « O mon corps, s'écrie saint Bernard, que vous êtes heureux de loger une âme ornée de tant de belles qualités ! Un Dieu, tout infini qu'il est, en fait l'objet de ses complai­sances ! » Oui, M.F., notre âme est destinée à aller passer son éternité dans le sein de Dieu même. Disons tout en un mot, M.F. : notre âme est quelque chose de si grand, de si précieux, qu'il n'y a que Dieu seul qui la surpasse. Un jour, le bon Dieu fit voir une âme à sainte Catherine. Elle la trouva si belle, qu'elle s'écria : « O mon Dieu, si la foi ne m'apprenait pas qu'il n'y a qu'un Dieu, je croirais que c'est une divinité ; non, mon Dieu, je ne m'étonne plus que vous soyez mort pour une si belle âme ! » Oui, M.F., notre âme, pour l'avenir, sera éternelle, ainsi que Dieu lui-même. Non, non, M.F., n'allons pas plus loin ; l'on se perd dans cet abîme de grandeur. D'après cela seul, M.F., je vous laisse à penser si nous devons nous étonner que Dieu, qui en connaît si bien le mérite, pleure si amèrement la perte d'une âme. Je vous laisse à penser quel est le soin que nous en devons prendre pour lui conserver toutes ses beautés. Hélas ! M.F., le bon Dieu est si sensible à la perte d'une âme, qu'il l'a pleurée avant que d'avoir des yeux pour pleurer ; il a emprunté les yeux de ses prophètes pour pleurer la perte de nos âmes. C'est ce que nous voyons, d'une manière bien sensible, dans la personne du prophète Amos. M'étant, nous dit ce prophète, retiré dans l'obs­curité, considérant l'effroyable multitude de crimes que le peuple de Dieu commettait chaque jour, voyant que la colère de Dieu était prête à lui tomber dessus, et que l'enfer ouvrait ses gouffres pour les engloutir, les ayant tous fait assembler, et étant moi-même tout tremblant, je leur dis en pleurant amèrement : O mes enfants, savez-vous bien quelle est mon occupation, nuit et jour ? Hélas ! je me représente vivement tous vos péchés, dans toute l'amertume de mon cœur. Si à force... accablé de fatigue, je m'assoupis, aussitôt je m'éveille en sursaut en m'écriant, les yeux baignés de larmes et le cœur brisé de douleur : Mon Dieu, mon Dieu, n'y aurait-il point d'âmes en Israël qui ne vous offensent ? Alors que je me remplis l'imagination de cette triste et déplorable idée, j'en parle au Seigneur, j'en gémis amèrement en sa sainte présence en lui disant : Mon Dieu, quel moyen vais-je employer pour obtenir leur grâce ? Voici ce que le Seigneur m'a répondu : Prophète, si vous voulez obtenir le pardon de ce peuple ingrat, allez, courez dans les rues et les places publiques ; faites-les retentir des gémissements les plus amers ; entrez dans la boutique des marchands et des artisans ; allez jusque dans les lieux où l'on rend la justice ; montez dans la chambre des grands et le cabinet des juges ; dites à tous ceux que vous trouverez au dedans et au dehors de la ville : « Malheur à vous ! ah ! malheur à vous, qui avez péché contre le Seigneur ! » Ce n'est pas même assez, vous appellerez à votre secours tous ceux qui sont capables de pleurer, afin qu'ils joignent leurs larmes aux vôtres et que vos gémissements et vos cris soient si effrayants qu'ils jettent la consternation dans tous les cœurs qui vous entendront ; afin qu'ils quittent leurs péchés, et les pleurent jusqu'au tombeau ; afin qu'ils comprennent par là combien la perte de leurs âmes m'est sensible. » Le prophète Jérémie, M.F., va encore plus loin. Pour nous montrer combien la perte d'une âme est sensible au bon Dieu, écoutez-le lui-même, dans un moment où il se trouva saisi de l'esprit du Seigneur : « Ah ! mon Dieu, ah ! mon Dieu, que vais-je devenir, vous m'avez donné le soin d'un peuple rebelle, d'une nation ingrate, qui ne veut pas vous écouter, ni se soumettre à votre conduite ; hélas ! que ferai-je ? quel parti prendrai-je ? Voici ce que le Seigneur m'a répondu : « Pour leur mon­trer combien je suis sensiblement touché de la perte de leur âme, prends tes cheveux, arrache-les de ta tête, jette-les loin de toi parce que le péché de ce peuple m'a forcé à l'abandonner, et que ma fureur a pris naissance dans l'intérieur de leurs âmes. » Quand la colère du Sei­gneur est allumée par le péché, dans le cœur, c'est la plus terrible maladie. « Mais, Seigneur, lui dit le pro­phète, que vais-je faire pour vous engager à détourner vos regards de colère de dessus votre peuple. « Prends un sac pour vêtement, m'a dit le Seigneur, mets des cen­dres sur ta tête et pleure sans cesse, et avec tant d'abondance que tes larmes couvrent ton visage, et pleure si amèrement, que vos péchés soient noyés dans vos lar­mes. » Comprenez-vous, M.F., combien la perte de nos âmes est sensible au bon Dieu ? Vous voyez combien nous sommes malheureux en perdant une âme que Dieu aime tant, que, n'ayant pas encore des yeux pour pleu­rer, il emprunte ceux de ses prophètes pour verser des larmes amères sur leur perte. Le Seigneur nous dit par son prophète Joël : « Pleurez la perte des âmes comme un jeune époux qui vient de perdre son épouse qui devait faire toute sa consolation, et qui est réduit à toutes sortes de malheurs ! » Saint Bernard nous dit que trois choses sont capables de nous faire pleurer ; mais il n'y en a qu'une seule qui soit capable de rendre nos larmes méritoires, qui est lorsque nous pleurons nos péchés ou ceux de nos frères ; partout ailleurs ce ne sont que des larmes pro­fanes ou criminelles, ou enfin, infructueuses. Pleurer la perte d'un procès injuste, la mort d'un enfant : larmes inutiles. Pleurer la privation d'un plaisir charnel : lar­mes criminelles. Pleurer une longue maladie : larmes infructueuses et inutiles. Mais, pleurer la mort spiri­tuelle de son âme, l'éloignement de Dieu, la perte du ciel : « O larmes précieuses, nous dit ce grand saint, mais que vous êtes rares ! » Et pourquoi, M.F., sinon parce que vous ne sentez pas la grandeur de votre malheur, pour le temps et pour l'éternité ? Hélas ! M.F., c'est la crainte de cette perte qui a dépeuplé le monde, pour remplir les déserts et les monastères de tant de chrétiens ; c'est qu'ils compre­naient bien mieux que nous que, si nous perdons notre âme, tout est perdu, et qu'il fallait donc qu'elle fût d'un grand prix, puisque Dieu lui-même en faisait tant de cas. Oui, M.F., les saints ont tant souffert pour con­server leur âme pour le ciel ! L'histoire nous en fournit des exemples sans nombre ; en voici un, M.F. ; si nous n'avons pas le courage de l'imiter, au moins nous pour­rons l'admirer pour en bénir le bon Dieu. Nous voyons dans la vie de saint Jean Calybite, qui était né à Constantinople, qu'il commença dès son enfance à comprendre le néant des choses humaines et à sentir un grand goût pour la solitude. Un religieux d'un monastère voisin passant à Constantinople pour aller en pèlerinage à Jérusalem, logea chez ses parents, qui recevaient avec un grand plaisir les pèlerins. L'enfant leur demanda quelle était la vie que l'on menait dans leur monastère. Quand on lui raconta, la vie sainte et pénitente des religieux, le plaisir qu'on y goûtait, séparé du monde pour n'avoir plus de commerce qu'avec Dieu seul, il en fut si touché et conçut un si grand désir de quitter le monde, pour aller partager ce bonheur, qu'il ne pouvait plus se trouver dans le monde. Il dit à ses parents qu'il ne fallait penser à aucun établis­sement dans le monde pour lui, que le bon Dieu l’appe­lait à aller finir ses jours dans la retraite. Ses parents voulurent essayer s'ils pourraient le faire changer de résolution ; mais tout fut inutile ; il leur demanda pour tout héritage, le livre des saints Évangiles dont il fit tout son trésor. Mais, pour se délivrer des pressantes sollicitations de ses parents, et pour se donner tout à Dieu, il abandonna leur maison, et alla se présenter à la porte d'un monastère pour y être reçu. Ses parents l'envoyèrent chercher de tous côtés. Ne pouvant le trouver, ils s'abandonnèrent aux larmes les plus amè­res. Ce jeune saint passa six ans dans cette retraite à pra­tiquer toutes les vertus et les pénitences que son amour pour le bon Dieu put lui inspirer. Au bout de ce temps, il lui vint la pensée d'aller trouver ses parents, espérant que le bon Dieu lui accorderait la même grâce qu'à saint Alexis, qui passa vingt ans chez lui sans qu'on le connût. A peine fut-il sorti du monastère, que, trouvant un pauvre, il changea d'habit avec lui pour se rendre encore plus méconnaissable ; d'ailleurs, ses austérités qui avaient été si grandes et une grave maladie, l'avaient extrêmement défiguré. D'aussi loin qu'il vit la maison de ses parents, il se mit à genoux pour demander à Dieu de le conduire dans son entreprise. La porte étant déjà fermée à cause de la nuit, il passa la nuit à la porte. Le lendemain, les domestiques l'ayant trouvé, en eurent compassion et lui permirent d'entrer dans une petite loge pour s'y retirer. Il n'y a que Dieu seul qui ait connu combien il eut à souffrir, voyant ses parents, qui, à chaque mo­ment, passaient devant lui en pleurant amèrement la perte de leur enfant qui faisait toute leur consolation. Son père, qui était très charitable, lui envoyait de temps en temps de quoi le nourrir ; mais sa mère ne pouvait approcher de lui sans sentir son cœur se soulever, tant elle trouvait ce pauvre dégoûtant. Si sa charité ne l'avait pas portée à vaincre cette répugnance, elle l'aurait chassé de chez elle. Toujours plongée dans la tristesse, toujours versant des larmes, et cela devant celui qui ne pouvait pas être insensible à ce qui faisait le plus grand de tous les tourments de sa mère... Ce bon saint passa trois ans dans cette triste position, n'étant occupé qu'à la prière et au jeûne qu'il portait jusqu'à l'excès ; ses larmes coulaient sans cesse. Lorsque le bon Dieu lui eut fait connaître sa fin, il pria l'inten­dant de la maison d'inspirer à sa maîtresse la charité de venir le voir, parce qu'il désirait ardemment de lui parler. Quand on lui fit cette commission, elle en parut tout ennuyée, quoique accoutumée à visiter souvent les malades ; mais elle avait une si grande répugnance à visiter celui-ci, qu'elle dut se faire une grande violence pour aller jusqu'à l'entrée de la loge où était ce pauvre. Le mourant la remercia bien de tous les soins qu'elle avait voulu prendre d'un misérable inconnu comme lui, et lui assura qu'il prierait instamment le Seigneur pour elle, afin qu'il la récompensât de tout ce qu'elle avait fait pour lui. Il lui demanda encore la grâce de prendre soin de sa sépulture. Après qu'elle le lui eût promis, il lui fit présent du livre des saints Évangiles fort bien relié. Elle fut bien surprise de voir qu'un pauvre avait un livre si bien relié ; alors elle se ressouvint de celui qu'elle avait autrefois donné à son fils qu'elle avait perdu. Sa douleur se renouvelant, elle se mit à verser des larmes par tor­rents. Le père vint à ce bruit, et ayant examiné ce livre, reconnut que c'était celui de son fils. I1 lui demanda ce qu'était devenu leur fils. Ce saint, qui n'avait plus qu'un souffle de vie, leur dit en soupirant et ver­sant des larmes : « Ce livre est celui que vous m'avez donné il y a dix ans ; je suis ce fils que vous avez tant cherché et pour qui vous avez versé tant de larmes. » A ces paroles, ils restèrent comme morts de voir leur cher fils qu'ils avaient tant cherché et si loin, l'ayant chez eux ; ils semblaient ne plus pouvoir vivre. Mais dans le moment qu'ils le serraient entre leurs bras, il leva ses mains et ses yeux vers le ciel et rendit à Dieu sa belle âme, qui, pour se conserver dans l'inno­cence, avait fait tant de sacrifices, de pénitences et répandu tant de larmes... Voilà, M.F., ce que nous pouvons dire : ce chrétien avait le bonheur de connaître la grandeur de son âme et les soins qu'il devait en prendre. Voilà, M.F., un chrétien qui a glorifié Dieu dans toutes les actions de sa vie ; voilà une âme, qui maintenant rayonne de gloire dans le ciel, qui bénit le bon Dieu de lui avoir fait la grâce de vaincre le monde, la chair et le sang. Oh ! que ces morts sont heureuses, M.F., même aux yeux du monde !


II. – En deuxième lieu, nous avons dit que, pour connaître le prix de notre âme, nous n'avons qu'à con­sidérer ce que Jésus-Christ a fait pour elle. Qui de nous, M.F., pourra jamais comprendre combien le bon Dieu estime notre âme, puisqu'il a fait tout ce qu'il était possible à un Dieu de faire, pour rendre heureuse une créature. Pour se sentir plus porté à l'aimer, il a voulu la créer à son image et ressemblance ; afin qu'en la contemplant, il se contemplât lui-même. Aussi, voyons-nous qu'il donne à notre âme les noms les plus tendres et les plus capables de montrer un amour jusqu'à l'excès. Il l'appelle son enfant, sa sœur, sa bien-aimée, son épouse, son unique, sa colombe. Mais ce n'est pas assez : l'amour se montre encore bien mieux par les actions que par les paroles. Voyez son empressement à venir du ciel, pour prendre un corps semblable au nôtre ; et épousant notre nature, il a épousé toutes nos infirmités, sinon le péché ; ou plutôt il a voulu se charger de la justice que son Père demandait de nous. Voyez son anéantissement dans le mystère de l'Incarnation ; voyez cette pauvreté : pour nous il naît dans une crèche ; voyez les larmes qu'il répandait sur cette paille, où il pleure d'avance nos péchés ; voyez ce sang qui coule sous le couteau de la circoncision ; voyez-le fuir en Égypte comme un criminel ; voyez cette humilité et cette sou­mission à ses parents ; voyez-le dans le jardin des Oli­viers, qui gémit, qui prie et répand des larmes de sang ; voyez-le pris, lié, garrotté, jeté par terre et battu à coups de pieds et de bâtons par ses propres enfants ; consi­dérez-le attaché à cette colonne, tout en sang ; son pauvre corps a reçu tant de coups, le sang coule telle­ment, que les bourreaux en sont eux-mêmes tout cou­verts ; voyez cette couronne d'épines qui perce cette tête sainte et sacrée ; voyez-le portant sa croix au Cal­vaire : autant de pas, autant de chutes ; voyez-le cloué sur la croix et s'y étendant lui-même, sans laisser sortir de sa bouche une seule parole de murmure. Voyez ces larmes d'amour qu'il répandait en mourant, qui se mêlent à son sang adorable ! Est-ce bien là, M.F., un amour digne d'un Dieu qui est l'amour ! Est-ce là, M.F., nous montrer l'estime qu'il fait d'une âme ! En est-ce assez pour nous faire comprendre ce qu'elle vaut et les soins que nous en devons prendre ? Ah ! M.F., si nous avions le bonheur, une fois dans notre vie, de bien comprendre la beauté et la valeur de notre âme, ne serions-nous pas prêts, comme Jésus-Christ, à faire tous les sacrifices pour la conserver ? Oh ! qu'une âme est belle, qu'elle est précieuse aux yeux de Dieu même ! Comment se peut-il faire que nous en fassions si peu de cas, et que nous la traitions plus durement que le plus vil des animaux ? Quelle doit être la pensée de cette âme qui connaît sa beauté et toutes ses belles qualités, de se voir traînée dans les ordures du péché ? Ah ! sentons, M.F., lorsque nous la roulons dans les eaux de ces sales voluptés, quelle horreur ne doit pas avoir d'elle-même une âme qui n'a que Dieu seul qui la surpasse !... Mon Dieu, est-il bien possible que nous fassions si peu de cas d'une telle beauté ? Voyez, M.F., ce que devient une âme qui a le malheur de tomber dans le péché. Dans la grâce de Dieu, on la prendrait pour une divinité ; mais, dans le péché !... Le Seigneur fit un jour voir à un prophète une âme en état de péché, il nous dit qu'elle était semblable à une cha­rogne, traînée pendant huit jours dans une rue à la rigueur du soleil. Ah ! c'est bien là, M.F., que nous pouvons dire avec le prophète Jérémie : « Elle est tombée, la grande Babylone, elle est devenue le repaire des démons. » Oh ! qu'une âme est belle, quand elle a le bonheur de posséder la grâce de son Dieu ! Non, non, il n'y a que Dieu qui peut en connaître tout le prix et toute la valeur ! Aussi, voyez comment Dieu a établi une religion pour la rendre heureuse ici-bas, en attendant de la faire jouir d'un plus grand bonheur dans l'autre vie. Pourquoi, M.F., a-t-il institué tous ces sacrements ? N'est-ce pas pour la guérir, quand elle a eu le malheur de recevoir des plaies par le péché, et pour la fortifier dans ses combats ? Voyez à combien d'outrages Jésus-Christ s'est exposé pour elle ! Combien ses commandements sont violés ! Combien de fois ses sacrements sont profanés, combien de sacrilèges dans la réception des sacre­ments ! Mais non, M.F., quoique Jésus-Christ sache bien toutes les insultes qu'il y recevrait, l'amour qu'il a pour nos âmes n'a pas pu l'arrêter... disons mieux M.F., Jésus-Christ a tant aimé ou plutôt aime tant notre âme que, s'il fallait mourir une seconde fois, il le ferait. Voyez son empressement à venir à notre secours dans nos peines et dans nos chagrins ; voyez les soins qu'il prend de tous ceux qui veulent l'aimer ; voyez-vous toutes ces foules de saints qu'il nourrit d'une manière miraculeuse. Ah ! M.F., si une fois nous avions le bonheur de bien comprendre ce que c'est qu'une âme et combien Dieu..., combien il l'aime, et combien il doit la récompenser pendant toute l'éternité, nous ferions bien comme les saints : ni les biens, ni les plaisirs, ni la mort ne seraient capables de nous la faire vendre au démon. Voyez toutes ces foules de martyrs, les tourments qu'ils ont endurés pour ne pas la perdre, voyez-les monter sur les échafauds, et se livrer entre les mains des bourreaux avec une joie incroyable. Nous en avons un bel exemple dans la personne de sainte Christine, vierge et martyre. Cette illustre martyre était de la Toscane. Son père, qui en était gou­verneur, devint lui-même son propre bourreau. Le sujet de sa colère fut que sa fille avait enlevé toutes les idoles qu'il adorait dans sa maison ; elle les mit toutes en pièces pour en faire des aumônes aux pauvres chré­tiens. Cette action porta son père à un tel accès de fureur, qu'il la mit sur-le-champ entre les mains des bourreaux, qui, par son ordre, la fouettèrent cruelle­ment et la tourmentèrent avec une cruauté inouïe. Sors pauvre petit corps était déjà tout en sang. Le père ordonna de prendre des crochets de fer pour lui déchi­rer le corps. Ils allèrent si loin qu'on lui voyait une grande partie des os dans presque tous les membres de son corps ; mais, bien loin qu'une douleur si cui­sante abattît son courage et troublât la paix de son âme, elle ramassa, sans étonnement, sa propre chair et la présenta à son père en lui disant s'il voulait en man­ger. Une action si surprenante, au lieu de toucher le cœur de ce père barbare, ne servit qu'à l'irriter encore davantage : il la fit jeter dans une affreuse prison, chargée de chaînes et de fers ; il la chargeait de malédic­tions, lui disant que bien d'autres tourments lui étaient préparés ; mais la sainte fille, qui n'avait encore que dix ans, n'en fut point troublée. En effet, quelques jours après, son père la fit sortir de prison et la fit attacher à une roue un peu élevée de terre, qu'il fit arroser d'huile de tous côtés, et sous laquelle il fit allumer un grand feu, afin que la roue venant à tourner, le corps de cette petite innocente souffrît à la fois double sup­plice. Mais un grand miracle en arrêta les effets : le feu respecta la pureté de la vierge et ne donna aucune atteinte à son corps ; au contraire, le feu se tourna contre les idolâtres, et en brûla un nombre presque infini. Le père, voyant tous ces prodiges, manqua mou­rir de dépit. Ne pouvant supporter cet affront, sans en tirer toute la vengeance que sa haine lui inspirait, il ramena sa fille en prison ; mais elle n'y demeura pas sans secours : un ange descendit dans son cachot pour la consoler, et en même temps, la guérit de toutes ses plaies. Il lui donna de nouvelles forces. Le père déna­turé ayant appris ce miracle, résolut d'ordonner un der­nier effort. II commanda au bourreau d'attacher à sa fille une pierre au cou, et de la précipiter dans le lac. Mais le bon Dieu, qui avait su la préserver des flammes, sut bien aussi la retirer des eaux : le même ange, qui l'avait accompagnée dans la prison, l'accompagna sur l'eau. Il la fit tranquillement revenir sur le bord du rivage, où on la trouva aussi saine qu'auparavant. Ce père, voyant que tout ce qu'il faisait pour la faire souf­frir ne lui servait de rien, en eut un si grand désespoir, qu'il en mourut de rage. Dion, qui fut son successeur dans le gouvernement de la ville, le fut aussi de sa cruauté : il crut qu'il était de son devoir de venger la mort du père, dont il croyait que la fille était cause. Il inventa mille sortes de tourments contre cette inno­cente vierge ; mais le plus rigoureux fut lorsqu'il la fit coucher dans un berceau rempli d'huile bouillante mêlée de poix. Mais la sainte fille, que le bon Dieu pre­nait plaisir de protéger à la face et à la confusion de ses tyrans, fit que, par un seul signe de croix, toute cette matière perdît sa force. Par une sainte insulte, elle leur dit qu'ils l'avaient mise dans ce berceau comme un enfant que l'on vient de baptiser. Ces détestables minis­tres de Satan furent indignés de voir qu'une enfant de dix ans triomphait de tous leurs efforts ; aussi ces infâ­mes barbares, oubliant tout le respect qu'ils devaient à la pudeur et à la modestie de cette vierge, lui coupèrent les cheveux et la dépouillèrent de ses habits, et, dans cet état déplorable, la traînèrent dans un temple d'ido­les pour la forcer à présenter de l'encens au démon ; mais entrant dans le temple, l'idole tomba en pièces et le tyran tomba raide mort. Les foules d'idolâtres, qui en furent témoins, se convertirent presque toutes : le nombre fut de trois mille. Cette sainte fille passa entre les mains d'un troisième bourreau, nommé Justin. Ce tyran, croyant qu'il y allait de son honneur de venger la honte et même la mort de celui qui l'avait précédé dans sa charge, éprouva encore sur elle tout ce que la fureur put lui inspirer ; il commença à la faire jeter dans une fournaise ardente, pour y être consumée ; mais le bon Dieu, par un nouveau miracle, permit que les flammes ne lui fissent aucun mal, et la vierge y demeura cinq jours sans en rien souffrir. Alors, les hommes se trouvant courts en leur malice, ils eurent recours au démon, et pour cela, ils s'adressèrent à un magicien qui jeta quantité de serpents horribles dans sa prison, dans la pensée qu'elle serait étouffée par le venin ; mais cette exécution diabolique ne servit qu'à relever davantage la gloire de la vierge, à la faire triom­pher des animaux, après avoir été triomphante de la rage des hommes. On lui fit couper la langue, mais elle se faisait encore mieux entendre et chantait encore avec plus de force les louanges du Dieu qu'elle adorait. Enfin, ne sachant plus que faire, le bourreau la fit atta­cher au poteau où son corps fut percé de flèches, jus­qu'à ce que son âme sortit de son corps pour aller jouir de la présence de Dieu qu'elle avait si bien méritée. Dites-moi, M.F., cette jeune fille comprenait-elle la grandeur et le prix de son âme ? Était-elle pénétrée de ce qu'elle devait faire pour la conserver aux dépens de ses biens, de ses plaisirs et de sa vie même ? Ah ! M.F., si nous avions une fois compris ce que notre âme vaut, l'estime que Dieu lui-même en fait, pourrions-nous la laisser périr comme nous le faisons ? Non, non, M.F., ne soyons plus étonnés de ce que Jésus-Christ a tant versé de larmes sur la perte de notre âme. Mais, pensez-vous, sur quoi est-ce donc que Jésus-Christ a tant pleuré ? – Hélas ! il a pleuré sur notre orgueil, en voyant que nous ne cherchons que les honneurs et l'estime du monde au lieu de ne penser qu'à nous anéantir, à la vue des humiliations qu'un Dieu a pratiquées pour nous élever ; il a pleuré sur nos haines et nos vengeances, tandis qu'il meure lui-même pour ses ennemis ; il a pleuré sur nos vices infâmes d'impureté, en voyant combien ce péché déshonore notre âme et nous plonge dans une boue sale et infecte. Hélas ! M.F., il a pleuré sur tous nos péchés. Il voulait tous nous sauver et nous rendre heureux ; il ne voulait pas que de si belles âmes, qui sont ses créatures, soient perdues, déshonorées et réduites à l'esclavage du démon, tandis qu'elles sont douées de tant de belles qualités, et destinées à un si grand bonheur.


III. – Saint Augustin nous dit : « Voulez-vous savoir ce que vaut votre âme ? Allez, allez le demander au démon, il vous le dira bien. Le démon estime tant une âme, que quand nous vivrions quatre mille ans, si après ces quatre mille ans de tentations il nous gagnait, il compterait tout cela pour rien. » Ce saint homme qui avait éprouvé les tentations du démon d'une manière toute particulière, nous dit que notre vie n'est qu'une tentation continuelle. Le démon lui-même dit un jour par la bouche d'un possédé, que tant qu'il y aurait un homme sur la terre, il le tenterait. Parce que, dit-il, je ne puis souffrir que des chrétiens, après tant de péchés, puissent encore espérer le ciel que j'ai perdu d'une seule fois, sans avoir pu le regagner. Mais, hélas ! si nous ne sentons pas nous-mêmes que dans presque toutes nos actions nous sommes tentés, tantôt par l'orgueil, la vanité, la bonne opinion que nous pensons que l'on aura de nous, tantôt par la jalousie, la haine, la vengeance. D'autres fois, le démon ne vient-il pas nous représenter les images les plus sales et les plus impures. Voyez dans nos prières, il emporte notre esprit de part et d'autre ; ne nous semble-t-il pas même que nous sommes dans un état…, lorsque nous sommes en la sainte présence de Dieu ? Et, bien plus, vous ne trouverez pas un saint qui n'ait pas été tenté depuis Adam, les uns d'une manière, les autres d'une autre, et les plus grands saints ce sont ceux qui l'ont été le plus. Si Notre-Seigneur a été tenté, c'est pour nous montrer que nous devions l'être aussi il faut donc absolument nous y attendre. Si vous me demandez ce qui est la cause de nos tentations, je vous dirai que c'est la beauté et la valeur de notre âme que le démon estime et aime tant, qu'il consentirait à souffrir deux enfers s'il le fallait, et si par là il pouvait entraîner notre âme en enfer. Nous ne devons jamais cesser de veiller sur nous-mêmes, crainte que le démon ne nous trompe dans le moment que nous ne nous y attendrons pas. Saint François nous dit que le bon Dieu lui fit voir, un jour, la manière dont le démon tentait ses religieux, surtout contre la pureté. Il lui fit voir une troupe innombrable de démons qui ne faisaient autre chose que de tirer des flèches contre ces religieux, les unes retournaient avec violence contre les démons mêmes, qui les avaient tirées : alors ils s'enfuyaient en poussant des hurlements effroyables ; les autres retombaient contre qui elles étaient tirées, tombaient à leurs pieds sans leur faire aucun mal ; les autres entraient jusqu'au bout du fer, et enfin les perçaient de part en part. Il faut, pour les chasser, nous servir, comme nous dit saint Antoine, des mêmes armes : quand il nous tente d'orgueil, il faut vite nous humilier et nous abaisser devant Dieu ; s'il veut nous tenter contre la sainte vertu de pureté, il faut tâcher de mortifier nos corps et tous nos sens et être encore plus vigilants sur nous-mêmes. S'il veut nous tenter par le dégoût dans nos prières, il faut encore en faire davantage, avec plus d'attention, et, plus le démon nous dira de les laisser, plus nous devons en augmenter le nombre. Les tentations les plus à craindre sont celles que nous ne connaissons pas. Saint Grégoire nous dit qu'il y avait un religieux qui, pendant quelque temps, avait été un bon religieux ; il conçut un grand désir de sortir du monastère et de retourner dans le monde, disant que le bon Dieu ne le voulait pas dans ce monastère. Son supé­rieur lui dit : « Mon ami, c'est le démon qui est fâché que vous puissiez sauver votre âme, combattez-le. » Mais non, l'autre crut toujours que cela était. Le saint lui donna la permission de s'en aller ; mais en sortant du monastère, le saint se mit à genoux pour demander au bon Dieu qu'il fît connaître à ce pauvre religieux que ce n'était que le démon qui voulait le perdre. A peine eut-il mis le pied sur le seuil de la porte pour sortir, qu'il vit un gros dragon qui lui tomba dessus. « Oh ! M.F., s'écria-t-il, à mon secours ! voilà un dragon qui va me dévorer. » En effet, les religieux, qui étaient accourus à ce bruit, trouvèrent ce pauvre religieux étendu par terre, à demi-mort ; ils l'emportèrent dans le monastère, et celui-ci reconnut véritablement que ce n'était que le démon qui voulait le tenter et qui mou­rait de rage de ce que son supérieur avait prié pour lui et qu'il l'avait empêché de l'avoir. Hélas ! M.F., que nous devons craindre de ne pas connaître nos tenta­tions ! Et nous ne les connaîtrons jamais, si nous ne le demandons au bon Dieu. Que faut-il conclure de cela ? M.F., sinon qu'il faut que notre âme soit quelque chose de bien grand aux yeux des démons, puisqu'ils sont si attentifs à ne pas manquer une seule occasion de nous tenter, afin de nous perdre, pour nous entraîner dans leur malheur. Mais si nous avons vu, M.F., combien notre âme est quelque chose de grand, combien Dieu l'aime, combien il a souffert pour la sauver, les biens qu'il lui prépare dans l'autre vie ; si nous avons vu en même temps toutes les ruses et tous les pièges que le démon nous tend pour la perdre ; à présent, M.F., qu'en pensons-nous ? et quelle estime en faisons-nous ? et quels soins en prenons­-nous ? Avons-nous jamais, M.F., conçu une pensée de la grandeur de notre âme, et du soin que nous en devons prendre ? Que faisons-nous, M.F., de cette âme qui a tant coûté à Jésus-Christ ? Hélas ! M.F., si nous disions que nous ne l'avons que pour la rendre malheureuse et la faire souffrir !... Nous la tenons pour moins estimable que nos plus vils animaux ; quand ils sont dans l'écurie, nous leur donnons à manger ; nous avons soin d'ouvrir et de fermer les portes, crainte que les voleurs ne nous les prennent ; s'ils sont malades, nous allons chercher le médecin pour les soulager ; nous sommes touchés, souvent jusqu'au cœur, en les voyant souffrir. Le fai­sons-nous pour notre âme, M.F. ? Avons-nous soin de la nourrir par la grâce, par la fréquentation des sacrements ? Avons-nous soin de bien fermer les portes, crainte que les voleurs ne l'emportent ? Hélas ! M.F., disons-le à notre honte, nous la laissons périr de misère ; nous la laissons déchirer par nos ennemis, qui sont nos passions ; nous laissons toutes les portes ouvertes ; le démon de l'orgueil vient, nous le laissons entrer, meurtrir et déchirer notre pauvre âme ; celui de l'impureté vient, il entre, salit et pourrit cette pauvre âme. « Ah ! pauvre âme, nous dit saint Augustin, que l'on t'estime peu de chose : Un orgueilleux te vend pour une pensée d'orgueil ; un avare, pour une pièce de terre, un ivrogne, pour un verre de vin, et un vindicatif, pour une pensée de ven­geance ! » En effet, M.F., où sont nos bonnes prières, nos bonnes communions, nos prières bien faites, nos messes bien entendues, notre résignation à la volonté de Dieu dans nos peines, notre charité pour nos ennemis ? Est-il bien possible, M.F., que nous fassions si peu de cas d'une âme qui est si belle, que Dieu a aimée plus que lui-même, puisqu'il est mort pour la sauver ? Hélas, nous aimons le monde et les plaisirs du monde ; et tout ce qui a rapport à la gloire de Dieu ou au salut de notre âme nous ennuie, nous rebute ; nous murmurons même, quand il faut le faire. Hélas ! qu'un jour nous aurons de regret !... Le monde semble nous donner quelques plaisirs, mais nous nous trompons. Écoutez ce que nous en dit saint Jean Chrysostome, vous allez voir combien le bonheur est plus grand pour celui qui cherche à conserver son âme que pour celui qui ne cherche que ses plaisirs, et laisse son âme de côté. « Dans mon sommeil, nous dit ce grand saint, j'eus un songe extraordinaire, qui, à mon réveil, me présenta bien des sujets de réflexion devant Dieu. Dans ce sommeil, je vis un endroit délicieux, une vallée char­mante, où la nature avait réuni toutes les beautés, toutes les richesses et les plaisirs capables de réjouir un mortel. Ce qui m'étonna, c'est qu'au milieu de cette vallée de délices, je vis un homme à l'air triste, le visage altéré, l'esprit occupé ; son maintien annonçait le trouble et l'émotion de son âme : tantôt immobile et regardant fixement la terre, tantôt marchant à grands pas d'un air égaré ; puis, s'arrêtant tout à coup, pous­sant de profonds soupirs et se plongeant dans une mé­lancolie profonde qui semblait approcher du désespoir. En considérant attentivement, j'aperçus que cette vallée de délices aboutissait à un précipice affreux, à un gouf­fre immense où une force étrangère semblait le traîner. Cet homme était agité malgré tant de délices, car à cette vue, il ne pouvait goûter un moment de joie ni de paix. Mais portant mes regards plus loin, je vis un autre endroit tout contraire, un vallon sombre et obscur, des montagnes escarpées, des déserts stériles ; la sé­cheresse seule paraissait habiter ce séjour ; nul feuil­lage, nulle verdure, des ronces et des épines : tout inspirait la tristesse, la solitude, une espèce d'horreur. Mais ma surprise fut à son comble quand j'aperçus dans cette vallée, un homme pâle, défait, exténué et cependant avec un visage serein, un maintien tranquille et un air content ; malgré ces dehors affligeants, tout annonçait un homme qui jouit de la paix de l’âme ; mais portant mes regards encore plus loin, j'aperçus au bout de cette vallée de misères et cet affreux désert, je vis un endroit délicieux, un agréable lointain où l'on découvrait toutes sortes de beautés. Cet homme considérait sans cesse ce terme, ne le perdait jamais de vue, marchait avec courage, passant à travers les ronce où souvent il se blessait ; mais ses plaies semblaient ranimer ses forces. Étonné de tout cela, je demandai pourquoi l'un était si triste dans ce lieu de plaisirs et l'autre si content dans ce lieu de misères. Alors j'entendis une voix qui me dit : Ces deux hommes, que vous voyez, sont l'image de ceux qui sont ou entièrement attachés au monde, ou sincèrement dévoués a service de Dieu. Le monde, me dit cette voix, présente d'abord à ses spectateurs, les biens, les plaisirs, au moins en apparence : l'on s'y jette comme des insensés ; mais l'on reconnaît bientôt que l'on n'a pas trouvé ce que l'on croyait. Ce qu'il y a de plus triste et de plus accablant c'est qu'au bout de ce terme, l'on ne trouve qu'un gouffre, où vont se précipiter tous ceux qui marchent dans cette route qui semble être agréable. L'autre, au contraire, me dit cette voix, éprouve en soi tout le contraire : dans le service de Dieu, d'abord il y a des épreuves et des peines, c'est une vallée de larmes qu'on habite ; il faut se mortifier, se faire quelques violences, se priver des douceurs de la vie, passer ses jours dans la contrainte. Mais l'on s'anime par la vue et l'espérance d'un avenir à jamais heureux ; c'est le partage de cet homme qui est dans cette vallée triste ; mais la pensée du bonheur qu'il espère le console et le soutient dans ses combats. Tout devient consolant, pour lui, son âme goûte déjà les biens qui lui sont promis et qui l'attendent, et dont bientôt il jouira. » Peut-on, M.F., trouver une image plus naturelle que celle-là, pour nous faire comprendre la différence de celui qui, pendant sa vie, ne cherche qu'à plaire à Dieu, à sauver son âme, avec celui qui laisse son Dieu et son âme de côté pour courir après quelques plaisirs qui nous conduisent, sans avoir rien goûté de consolant ni de parfait, dans un précipice qui n'est autre chose que le gouffre de l'enfer. Heureux celui, M.F., qui mar­chera dans ce chemin, où il y a quelques peines, mais de peu de durée, et qui, au bout, nous conduit dans un lieu si heureux à la possession de Dieu même ! C'est le bonheur...

 



24/12/2008
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